voyageur de commerce

Publié le par danilo casti

Hamza Zouhair - 66 ans

Vous êtes une sorte de migrant intérieur ; on peut dire ça ?
(rires) Oh oui ! C’est tout à fait ça. Je passe mon temps dans les transports en commun. Toutes sortes de transports en commun : des bus dernier cri aux cars déglingués (à se demander comment ils roulent encore) en passant par les gands taxis fous et les carriola à cheval quand je retourne dans mon bled près de Taza. Quand je dis tout mon temps, j’exagère un tantinet. En fait c’est pour les besoins de mon travail que je voyage. Et encore je voyage de moins en moins, je suis devenu inutile. Je suis voyageur de commerce à l’ancienne, je vends tout et n’importe quoi dans les plus petits villages.  En fait, pour être exact je ne ne suis pas vendeur, je suis un catalogue.

Comment ça, un catalogue ?
Simple. Vous habitez dans un petit village du Rif, quasi inccassible, vous avez vu à la télé ou ailleurs un objet, un tissu, n’importe quoi qui vous intéresse. Vous me le dîtes lors d’un de mes passages. Si j’ai ça en magasin, c’est-à-dire sur un des catalogues que je trimballe avec moi, c’est bon. Sinon je me fais bien expliquer et lors d’une autre virée, je ramène un catalogue où se trouve l’objet en question, ou alors un échantillon si c’est possible. Vous me passez la commande, vous payez d’avance et moi je vous le raméne. Un peu long j’en conviens, mais simple. A une certaine éppoque nous éions très nombreux dans ce métier. Maintenant…

Vous faîtes ce « métier » depuis longtemps ?
J’ai envie de dire depuis toujours. J’allais avec mon grand-père, qui était déjà « visiteur de commerce » comme il disait, pendant les vacances scolaires officielles (et celles officieuses que je m’octroyais moi-même) dans ses tournées, c’était encore plus long qu’aujourd’hui mais c’était merveilleux. Il était une sorte de père Noël permanent. Il concrétisait le rêve de tous ces paysans qui n’avaient rien. surtout pas les moyens d’aller à la ville, pour eux si lointaine et si dangeureuse. Je n’avais à l’époque que douze ou treize ans mais j’étais dégourdi. En plus, les clients étaient très souvent des clientes parfois jeunes et jolies qui avaient envie de babioles à la mode qu’elles ne pouvaient trouver sur place et dont il n’était pas question de confier l’achat à la ville voisine au père ou au frère. Mon grand-père était trop vieux pour comprendre les envies de ces filles, question de génération pour lui aussi, alors c’était moi qui en était chargé. J’étais déjà un bon commerçant et j’étais trop jeune pour être un danger pour les filles, mais suffisemment vieux pour comprendre que dans quelques années… inutile de dire que j’en ai profité… (rires). Aujourd’hui j’ai toujours les mêmes clientes, sauf qu’elles sont plus agées maintenant. Certaines ont près de soixante-dix ans et toutes ont les possibilités de se fournir autrement. Mais elles continuent avec moi. Une sorte de fidélité. Mais je suis le dernier de mon espèce.

Publié dans portrait marocain

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article